00:00:00:01 - 00:00:35:20 Intervenant 1 On a le plaisir d'accueillir à distance, mais d'accueillir quand même François Taddéi. François Taddéi est polytechnicien. Il s'intéresse beaucoup à la coopération, aux apprentissages. Il est cofondateur du CRI, aujourd'hui appelé le "Learning Planet Institute". Il a écrit deux ouvrages, il n'y a pas très longtemps : un qui s'appelle "Apprendre au XXIᵉ siècle" et puis le dernier, dont on s'est un peu inspiré pour préparer cet échange qui s'appelle "Et si nous...". 00:00:35:22 - 00:01:04:14 Intervenant 1 Le titre de cette intervention, c'est : "et si nous nous engagions dans des transformations". Merci François d'être avec nous d'abord. Dans la préparation qu'on a eue de ce temps, on va commencer par vous, parce qu'après tout, c'est bien de vous écouter aussi. On s'est donné deux questions. On va vous demander 00:01:04:16 - 00:01:29:04 Intervenant 1 si vous êtes d'accord avec l'affirmation de lever la main, si vous n'êtes pas d'accord, vous ne la levez pas. Alors ces deux affirmations, c'est: est-ce que vous pensez qu'il faut accélérer les transitions ? Est-ce que vous êtes plutôt d'accord avec ça ? 00:01:29:06 - 00:02:16:22 Intervenant 1 Bon, ça a l'air d'être plutôt d'accord. Et puis la deuxième affirmation, c'est : à titre personnel, est-ce que vous ne pensez pas qu'il faudrait ralentir? Alors, il y en a qui lèvent même deux mains. Est-ce que vous pensez, à titre individuel, personnel, qu'il ne faudrait pas ralentir le rythme? Voilà! François, est-ce que vous êtes surpris par cette réaction ? 00:02:16:24 - 00:02:26:16 Intervenant 1 Ici, vous ne voyez qu'une petite partie de la salle, il y a tout un autre pan. Est-ce que vous êtes surpris par cette réaction et qu'est-ce que ça vous inspire ? 00:02:26:18 - 00:02:54:03 Intervenant 2 Bonjour déjà à tous et à toutes et merci de m'avoir invité. Désolé d'être à distance. Ce n'est pas forcément idéal pour compter les mains dans un amphi ou avoir des interactions plus dynamiques. Mais c'est quand même plus simple vu mon agenda. Ce qu'on voit, c'est qu'il y a des gens qui ont levé deux fois la main et sur deux questions qui a priori sont différentes mais en même temps assez complémentaires. 00:02:54:05 - 00:03:20:09 Intervenant 2 La question devient : si on a répondu deux fois oui, comment on fait pour qu'individuellement on ralentisse et que collectivement, on accélère? Donc il y a quelque part un défi. Et peut-être qu'une des manières d'adresser ce défi, c'est de s'interroger sur la manière dont on est organisé et de savoir si, en fait, on court nécessairement dans la bonne direction. 00:03:20:11 - 00:03:39:06 Intervenant 2 Je ne sais pas si vous connaissez ce personnage de Lewis Carroll et d'"Alice au pays des merveilles" qui s'appelle la Reine rouge. Mais quand Alice court à ses côtés, elles courent pendant dix minutes et elles n'ont pas bougé à la fin. Alice s'interroge auprès de la reine en disant : "mais pourquoi est-ce qu'on n'a pas bougé alors qu'on a couru ?" 00:03:39:08 - 00:04:08:20 Intervenant 2 Et la reine lui dit : "Dans ce pays, il faut courir aussi vite que l'on peut, ne serait-ce que pour rester sur place. Si on veut aller ailleurs, il faut courir deux fois plus vite." Elle ne lui a pas dit qu'on pourrait aussi courir dans une autre direction. Mais si on est sur un tapis roulant, on voit bien ce que je veux dire. Donc, par rapport aux sociétés en accélération dans lesquelles nous sommes, ce qui a des aspects assez épuisants pour un certain nombre d'individus et qui sont quelque part toujours plus nombreux, 00:04:08:22 - 00:04:31:18 Intervenant 2 est-ce qu'on court vraiment dans la bonne direction, est-ce qu'on est capable de prendre le temps de s'arrêter pour savoir dans quelle direction on court et éventuellement changer de direction, changer de rythme, changer de manière de faire ? C'est comme ça que je voulais commencer cette conversation. Je ne sais pas ce que ça vous inspire 00:04:31:18 - 00:04:40:02 Intervenant 2 mais je suis très heureux de dialoguer avec vous, de savoir comment vous ressentez ces contradictions. 00:04:40:04 - 00:05:12:19 Intervenant 1 On a prévu une vingtaine de minutes là-dessus. Dans votre dernier ouvrage "Et si nous..", vous posez plein de questions et vous ouvrez plein de pistes telles que vous commencez à les dessiner maintenant. Peut-être une des premières questions, c'est: quelles sont les questions qui vous, aujourd'hui, sur la question des transitions, vous tarabustent et vous mettent en activité ? 00:05:12:21 - 00:05:42:09 Intervenant 2 Je pense qu'en fait, les transitions sont particulièrement complexes et inter-pénétrées les unes dans les autres et quasiment fractales. Je m'explique peut-être dans tous ces différents mots: fractales, pour ceux qui n'ont pas fait beaucoup de mathématiques, c'est un peu comme les poupées russes, c'est à toutes les échelles, de l'échelle de la transition personnelle jusqu'à la transition planétaire, en passant par toutes les étapes intermédiaires. Interconnectées, 00:05:42:09 - 00:06:10:18 Intervenant 2 c'est qu'on voit mal comment on va faire la transition climatique sans une transition énergétique, mais aussi sans une transition sociétale, environnementale et démocratique. Donc il faut s'interroger là-dessus. Sans compter l'arrivée de nouveaux acteurs dans nos vies que sont les intelligences artificielles qui viennent rajouter une couche à tout ce que le numérique et le web ont transformé dans nos manières d'interagir et de nous informer avec, au passage, des fake news et tout un tas de problèmes. 00:06:10:20 - 00:06:51:21 Intervenant 2 On voit qu'il y a vraiment les transitions au pluriel d'abord. Et l'une des questions, c'est : qu'est-ce que ça veut dire pour nous, en tant qu'individus, nous en tant que collectif, nous en tant qu'éducateurs ou qui avons la responsabilité vis à vis d'un certain nombre d'autres acteurs d'accompagner leur transition personnelle? J'ai eu l'occasion de discuter avec la Ministre de l'enseignement supérieur. Elle parlait de l'enseignement des transitions et je lui disais: est-ce qu'on peut penser l'enseignement des transitions sans penser une transition de l'enseignement puisque nos enseignements sont souvent disciplinaires, alors que les transitions sont complexes et donc nécessitent des approches interdisciplinaires ? 00:06:51:23 - 00:07:13:15 Intervenant 2 On a tendance à enseigner ce qu'on sait alors qu'en fait, on ne sait pas vers quoi on va et qu'il va falloir l'inventer ensemble. Et donc est-ce qu'on peut simplement vérifier les connaissances des étudiants ou est-ce qu'il faut progressivement les former à s'interroger, à se questionner et à coopérer pour relever ces défis des transitions ? 00:07:13:17 - 00:07:24:20 Intervenant 1 Vous dites et vous écrivez qu'il faut penser fractal et agir viral. Est-ce que vous pourriez nous expliquer ce que vous voulez dire par là ? 00:07:24:22 - 00:07:43:15 Intervenant 2 Penser fractal, c'est penser toutes les échelles. J'ai travaillé sur des bactéries. Aux échelles microscopiques, il y a de la coopération, il y a l'échange d'informations, il y a de l'évolution, il y a de l'évolution de la vitesse d'évolution. Donc une partie de ce qui se joue à nos échelles se joue à des échelles beaucoup plus petites. 00:07:43:15 - 00:08:10:04 Intervenant 2 Une partie de ce qui se vit dans nos écosystèmes locaux aujourd'hui, on doit apprendre à le penser à des échelles nationales, européennes et même planétaires si ce n'est plus. Donc on a besoin de s'interroger sur ces différentes échelles. C'est ce que je disais tout à l'heure. Agir viral, après le COVID, ce n'est peut être pas le bon terme, mais disons agir d'une manière qui permette le passage à l'échelle. 00:08:10:10 - 00:08:36:08 Intervenant 2 Agir de manière "scalable",on dirait en anglais. Faire en sorte que, si on a une solution qui fonctionne localement et si on est capable de la partager avec d'autres, s'il souhaite s'en emparer, ça puisse créer une dynamique qui, comme un virus, puisse être une dynamique exponentielle et donc une dynamique qui puisse être compatible avec le fait qu'on a peu de temps pour accompagner toutes les transitions qui sont devant nous. 00:08:36:10 - 00:08:59:19 Intervenant 2 Donc il faut inventer des méthodes qui ne soient pas nécessairement de l'ascendant puis du descendant, mais beaucoup plus de l'horizontal et une capacité à faire qu'on puisse apprendre les uns des autres à gérer ces différentes complexités, ces différents défis auxquels on est confronté individuellement et collectivement, à toutes ces échelles. 00:08:59:21 - 00:09:14:09 Intervenant 1 Comment l'école peut être dans ce mouvement d'horizontalité, comment est-ce qu'on peut créer l'innovation aussi par davantage d'horizontalité, d'après vous ? 00:09:14:11 - 00:09:42:09 Intervenant 2 Je pense qu'il y a plusieurs niveaux d'horizontalité possibles à l'école, il peut y avoir l'horizontalité entre élèves, entre enseignants, il peut y avoir entre établissements, il peut y avoir entre pays. Donc il y a différents niveaux où on peut apprendre les uns des autres. Ce qui a été montré par exemple pendant le COVID par l'OCDE, c'est que les pays qui ont le mieux résisté au COVID au niveau des systèmes éducatifs, c'est typiquement des pays dans lesquels les enseignants coopèrent le plus. Donc ils apprennent de manière plus horizontale à relever des défis inédits, typiquement l'arrivée du COVID. 00:09:42:09 - 00:10:05:10 Intervenant 2 Mais ça pourrait être l'arrivée de l'intelligence artificielle ou l'arrivée du changement climatique. On est confronté à de l'inconnu et face à l'inconnu, personne n'a la solution. Chacun d'entre nous bricole comme il peut et a quelques briques de solutions. La question, c'est : si on sait mutualiser ces briques, on peut construire des ponts vers l'avenir et vers des solutions souhaitables. 00:10:05:12 - 00:10:25:06 Intervenant 1 Arrive derrière la question de l'institutionnalisation de tout cela. Au Learning Planet, vous expérimentez des nouvelles manières de travailler entre étudiants, enseignants et chercheurs. Est-ce que vous pourriez nous dire un petit mot là-dessus ? En quoi ça peut être enrichissant pour nous, enseignement agricole ? 00:10:25:08 - 00:10:52:21 Intervenant 2 Nous, ce qu'on essaye de pratiquer, c'est effectivement se nourrir de l'intelligence collective que différentes expertises issues de différentes disciplines peuvent apporter, mais aussi que différentes générations peuvent apporter parce qu'on n'a pas tous la même compréhension et les mêmes besoins. Mais on a tous une capacité à apprendre les uns des autres. Par exemple, pendant le COVID, il y a plein de gens qui ont appris de leurs étudiants à utiliser les outils digitaux qu'ils n'utilisaient pas forcément jusque-là. 00:10:52:23 - 00:11:21:09 Intervenant 2 Donc ça, c'est une des manières de faire. Mais les jeunes ont des questionnements et une créativité, ça a été d'ailleurs montré par les sciences cognitives. Il y a plutôt des pics de créativité autour de cinq ans et autour de l'adolescence. Si on sait s'appuyer sur cette créativité et si on sait, un peu comme Socrate, savoir qu'on ne sait pas et assumer le fait qu'on n'a pas toutes les réponses, mais qu'on peut chercher ensemble parce que nous, on a peut être des méthodes qu'ils n'ont pas encore 00:11:21:09 - 00:11:55:16 Intervenant 2 Et ils ont peut être des questions qu'on n'oserait plus se poser ou qu'on ne se pose pas encore. Donc on peut co-construire des choses. Et ça, on le fait avec nos étudiants. Il se trouve qu'on a co-construit le lieu dans lequel on est, qui a maintenant une vingtaine d'années et qui a doublé de taille pendant presque quinze ans tous les 18 mois dans le monde physique et maintenant plus dans le monde digital, parce qu'on travaille en réseau avec énormément d'acteurs, plusieurs centaines d'acteurs de par le monde qui s'intéressent à ces transitions des manières d'apprendre et à apprendre les transitions. 00:11:55:16 - 00:12:24:04 Intervenant 2 Ce qu'on essaie de faire, c'est d'utiliser l'intelligence collective et l'intelligence artificielle et leur capacité à se nourrir l'une de l'autre pour essayer de faire des choses qu'on ne sait pas faire avec des intelligences individuelles, aussi expertes soient-elles dans tel ou tel domaine. On a prototypé ce genre de choses depuis un certain nombre d'années à différents âges, en l'adaptant aux besoins et aux capacités de chacun. 00:12:24:06 - 00:13:09:17 Intervenant 2 Je suis par ailleurs ingénieur des ponts, des eaux et des forêts, donc je ne connais pas bien le monde de l'enseignement agricole, mais j'ai été sollicité un certain nombre de fois pour essayer de réfléchir sur les thématiques qui vous intéressent aujourd'hui. Je suis par ailleurs biologiste et je pense que quand on a l'expérience du vivant que le monde agricole a, je pense qu'on vit une partie de ces sujets un peu différemment, parce que le monde de l'industrie ou le monde de l'école est très pensé comme une ingénierie, avec des rouages et des hiérarchies et des systèmes de décision assez verticale et 00:13:09:20 - 00:13:33:24 Intervenant 2 centralisée comme un ingénieur peut les concevoir. Toute personne qui a travaillé sur le vivant, ce qui est évidemment le cas des gens du monde agricole, vous avez une autre compréhension de la complexité du vivant qui est devant vous et en fait, se dire que nos élèves sont vivants, que l'ensemble des êtres humains avec qui nous interagissons le sont et que donc il y a forcément de l'imprévu. 00:13:33:24 - 00:14:02:20 Intervenant 2 Il y a forcément des capacités de résilience et d'adaptation sur lesquelles on peut s'appuyer pour contribuer à ces évolutions. Je pense que c'est un monde particulièrement intéressant, qui est très sollicité vis à vis de ces transitions, mais qui a, à mon avis, dans son ADN si j'ose dire, dans sa culture professionnelle et sur ses centres d'intérêt, tout un tas de sources d'inspiration possibles. 00:14:02:23 - 00:14:19:04 Intervenant 2 Je suis complètement bio-inspiré pour repenser un certain nombre de choses. Si on oppose monoculture versus biodiversité par exemple, tout de suite, on voit qu'on a des concepts intéressants. Et qu'est ce que ça veut dire si on les transpose dans le système éducatif ? 00:14:19:06 - 00:14:36:13 Intervenant 1 Vous préconisez de combiner les sciences dures de l'ingénieur et les sciences humaines et sociales. Comment, d'après vous, est-ce que c'est possible ces choses-là ? Quels sont les espaces à inventer, à créer ? 00:14:36:15 - 00:15:10:23 Intervenant 2 On a des étudiants assez intéressants ici et parmi les derniers qui sont arrivés, il y en a un qui est en master mais qui a déjà un doctorat en physique. Il est dans un master de sciences de l'apprendre. J'ai fait sa connaissance. Il est d'origine libanaise et il m'a passé son tedtalk qu'il a donné en arabe. Heureusement, c'était sous-titré donc j'ai pu le suivre et son tedtalk est très intéressant. Il a publié des livres de physique et des livres de poésie, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Son tedtalk explique la différence entre la poésie 00:15:10:23 - 00:15:39:00 Intervenant 2 et la physique. Et lui dit: mais en fait, c'est la même chose. Il se trouve que la poésie, c'est la physique sans les maths. C'est à dire que, dans les deux cas, on veut décrire le monde et dans les deux cas, on cherche à le rendre intelligible et compréhensible par d'autres et simplement, on utilise d'autres manières de décrire ce monde et de le rendre appropriable par des êtres humains. 00:15:39:02 - 00:16:12:16 Intervenant 2 Je pense que se dire que, encore une fois, derrière tout phénomène physique, on peut aussi voir un acte poétique. Et d'ailleurs, ce qui est intéressant pour les biologistes qu'il doit y avoir nombreux dans la salle, c'est que le mot "poièsis" en grec, donne à la fois autopoïèse, mais aussi poésie. On voit que la capacité à engendrer, à créer, elle est présente à la fois dans l'art comme dans la science. 00:16:12:18 - 00:16:38:11 Intervenant 2 Cette capacité à éventuellement imaginer d'autres possibles, ça suppose justement de pouvoir engendrer d'autres choses que ce qu'on connaît jusqu'à maintenant. Et il se trouve que ce qu'on connaît jusqu'à maintenant nous amène plutôt dans le mur. Donc il va falloir imaginer d'autres solutions, être créatif et admettre ça. Etre capable de prendre un problème comme celui de la transition du monde agricole. 00:16:38:13 - 00:17:03:19 Intervenant 2 c'est pas simplement un problème scientifique et c'est pas simplement un problème social. C'est aussi un problème de récit. C'est aussi un problème d'imaginaire. Il va falloir aborder une question de cette complexité sous différents angles. Pour prendre une illustration assez poétique que j'aime bien, il y a la fable de l'éléphant et des six aveugles où chaque aveugle touche un bout de l'éléphant et celui qui touche la trompe pense qu'il a un serpent dans les mains, 00:17:03:19 - 00:17:31:06 Intervenant 2 celui qui touche la patte pense que c'est un tronc d'arbre, celui qui touche le corps pense que c'est un mur, etc.. L'idée de cette métaphore pour ceux qui aiment l'interdisciplinarité, c'est de se rendre compte qu'on ne peut jamais décrire la complexité d'un problème seulement sous un seul angle. Mais en multipliant les regards, on a plus de chances de comprendre le sujet et éventuellement de trouver une solution pour aider l'éléphant à avancer ou pour faciliter les transitions. 00:17:31:07 - 00:17:55:07 Intervenant 1 Une deuxième question, une deuxième ouverture : vous parlez de citoyen planétaire. Il y a un texte qui s'ajoute à votre dernier ouvrage sur cela. Qu'est-ce que vous entendez par citoyen planétaire et comment mettre ça en travail ? 00:17:55:09 - 00:18:17:15 Intervenant 2 C'est une bonne question. D'abord, j'aborde un certain nombre de questions dans le bouquin qui sont en fait des questions qui viennent des Lumières, qui sont elles-mêmes des questions qui étaient inspirées d'Athènes. Quand on dit "Aux armes citoyens", pendant les Lumières, pendant la Révolution française, il faut se souvenir que ce n'étaientt que les hommes en armes qui étaient des citoyens. 00:18:17:16 - 00:18:38:24 Intervenant 2 Donc, mesdames, vous n'étiez pas des citoyennes à l'époque et mais vous n'étiez pas les seules à ne pas être citoyennes parce que les migrants ne le sont toujours pas et ne l'étaient pas, les enfants ne l'étaient pas et ne le sont toujours pas. C'était la même chose à Athènes. A Athènes, les hommes en armes défendent les murs de la cité contre d'autres hommes en armes qui viennent d'autres cités. 00:18:39:01 - 00:19:04:20 Intervenant 2 La citoyenneté n'est pas une notion super inclusive et ce n'est pas une notion super écologique non plus parce que les murs de la cité séparaient les humains de la nature. Donc, la citoyenneté historiquement n'est pas inclusive, n'est pas écologique. Par ailleurs, la somme des citoyennetés locales ne permet pas de penser les enjeux globaux de manière démocratique. 00:19:04:22 - 00:19:27:11 Intervenant 2 On a aujourd'hui des problèmes planétaires et on n'a pas d'approche démocratique de nos problèmes planétaires. Donc ça veut dire qu'on aura, soit pas de solution, soit pas de solutions démocratiques, ce qui est probablement ni une bonne chose dans un cas ni dans l'autre. Comme le mot de cité pèse très fort dans l'étymologie de citoyenneté, on a proposé le mot de "planetizen" ou de "planètoyens", qui seraient donc des citoyens planétaires 00:19:27:12 - 00:19:52:00 Intervenant 2 mais en essayant de se dire que le référentiel géographique, ce n'est pas les murs de la cité, le référentiel géographique, c'est la planète et que c'est ça, notre maison commune. Et c'est ça dont il faut prendre soin tous ensemble. Il faut prendre soin des biens communs qui sont les nôtres, qui sont le climat, la biodiversité, la qualité de l'air, de l'eau, le respect de nos océans. 00:19:52:00 - 00:20:23:08 Intervenant 2 On a à la fois des biens communs planétaires, je dirais naturels, qui pré datent l'arrivée même des humains sur terre. Et puis on a des biens communs qui ont été produits par les humains, en particulier la démocratie, la science, l'éducation. Et puis on a des biens communs plus récents qui sont les biens communs numériques comme Internet, Wikipédia et une partie des logiques "open source" qui peuvent exister sur Internet aujourd'hui. 00:20:23:10 - 00:20:45:07 Intervenant 2 La question, c'est d'apprendre à contribuer à ces biens communs planétaires, qu'ils soient naturels, humains ou technologiques, apprendre à en bénéficier, à y contribuer et à les protéger. Parce que si on surexploite un bien commun, ce qu'on sait depuis Elinor Ostrom, qui a d'ailleurs eu le prix Nobel d'économie là-dessus, et d'autres gens avaient fait d'autres travaux avant, 00:20:45:07 - 00:21:06:10 Intervenant 2 c'est qu'il peut y avoir un effondrement des communs et donc un effondrement de la communauté qui s'appuie sur ces communs, ce qui serait dramatique à l'échelle planétaire bien évidemment. Il y a eu des tragédies des communs à des échelles locales et ce qu'elle a montré, c'est que pour éviter ces tragédies des communs à l'échelle locale, il faut penser la gouvernance de ces communs. 00:21:06:12 - 00:21:38:00 Intervenant 2 Je ne sais pas si vous avez suivi l'actualité internationale mais Guterres, qui est le secrétaire général de l'ONU, disait le mois dernier qu'on était au bord du collapse sur un certain nombre de ces communs, en particulier sur le climat et sur les différentes limites planétaires, et que, malheureusement, la gouvernance mondiale qui est héritée de 1945, qui a donné naissance à l'ONU, à la Banque mondiale, etc, est une gouvernance qui est complètement obsolète par rapport à l'étendue des problèmes qu'on a. 00:21:38:02 - 00:22:08:20 Intervenant 2 Le Conseil de sécurité fait que la Russie empêche de régler le problème en Ukraine pour donner juste cet exemple-là. Mais il n'y a personne, il n'y a pas de pilote dans l'avion sur le climat à l'échelle planétaire. Il n'y a pas de pilote dans l'avion non plus pour préserver les océans. On a des problèmes qu'on ne sait pas résoudre parce qu'on n'a pas les bons outils de gouvernance et on n'a pas la bonne conscience de notre responsabilité individuelle et collective vis à vis de ces communs et vis à vis des prochaines générations. 00:22:08:21 - 00:22:27:04 Intervenant 2 Un planetizen, c'est un citoyen qui n'est pas simplement un bon citoyen local mais qui a compris l'ensemble des enjeux que je viens d'évoquer et qui cherche à co-construire avec d'autres planetizen, des solutions à la bonne échelle. 00:22:27:06 - 00:22:32:08 Intervenant 1 Et la place de l'Ecole dans cette construction? 00:22:32:10 - 00:23:02:19 Intervenant 2 On sait, depuis au moins Condorcet, que même si les Grecs avaient déjà pensé un certain nombre de liens entre éducation et citoyenneté, mais Condorcet l'a particulièrement bien exprimé, l'éducation, la science et la démocratie, la citoyenneté, tout ça, ça doit coévoluer. Former les citoyens, les planetizen dès le plus jeune âge, c'est extrêmement important. Et d'ailleurs il se pose une question puisque les femmes ont mis longtemps à avoir le droit de vote et que les enfants n'ont toujours pas, est-ce qu'un jour ils l'auront ? 00:23:02:21 - 00:23:20:11 Intervenant 2 Moi, ma mère ne pouvait pas voter avant l'âge de 21 ans. Aujourd'hui, c'est 18. Il y a des pays où c'est déjà seize. Pourquoi il y a une limite d'âge par exemple? Il y a des gens qui disent qu'il y a quatre raisons pour lesquelles les enfants ne votent pas aujourd'hui : typiquement, ils ne sont pas suffisamment éduqués. Donc ça nous ramène au rôle de l'Ecole là-dedans. 00:23:20:13 - 00:23:44:23 Intervenant 2 Ils ne sont pas suffisamment informés, ils ne comprennent pas forcément la complexité des enjeux, ce qui nous ramène aussi à l'Ecole et ils sont trop influençables. Et donc on peut leur apprendre l'esprit critique ou des choses comme ça à l'Ecole. On peut essayer de travailler sur ces quatre dimensions à l'Ecole. Mais ce qui est intéressant, c'est ces quatre dimensions qui font que les enfants ne votent pas aujourd'hui étaient des arguments qui étaient avancés pour que les femmes ne votent pas au XXᵉ siècle et pour que les pauvres ne votent pas au XIXᵉ siècle et pour que personne ne vote au XVIIIᵉ siècle. 00:23:45:00 - 00:24:02:05 Intervenant 2 Je ne sais pas comment, au XXIIᵉ siècle, on regardera ce qu'on aura fait ou pas au XXIᵉ sur ces sujets. Mais pour moi, il est marquant de se rendre compte que par exemple, les droits des enfants ont été écrits par des adultes. C'est comme quand les droits des femmes sont écrits par des hommes, ça ne correspond pas toujours aux besoins des premiers concernés. 00:24:02:07 - 00:24:23:05 Intervenant 2 Si on donnait un nouveau droit aux enfants qui est le droit de demander des droits, par exemple, quels droits ils demanderaient ? Cela a été fait, y compris à Paris, avec un certain nombre de jeunes qui ont signé une charte parisienne des droits de l'enfant. Ils l'ont proposée à Anne Hidalgo qui l'a contresignée et qui est devenue une politique publique pour les services publics de la ville. 00:24:23:07 - 00:24:46:24 Intervenant 2 Il y a tout un tas de choses qu'on peut imaginer à toutes les échelles. Guterres, le secrétaire général de l'ONU, l'année dernière, au moment où on lui remettait un rapport sur la transformation de l'éducation et il y avait une déclaration de la jeunesse sur le sujet, a répondu à ces jeunes en disant :" Il y a quatre manières d'interagir avec la jeunesse. 00:24:47:01 - 00:25:05:24 Intervenant 2 La première, c'est de l'ignorer, la deuxième, c'est de faire semblant de l'écouter. Nous, et nous ne sommes pas la seule institution, nous avons fait pendant beaucoup trop longtemps le un et le deux. Donc ignorer et prétendre écouter. Mais il faut qu'on apprenne à dialoguer, ce qu'il était en train de faire, mais surtout qu'on aille encore plus loin en co-construisant l'avenir." 00:25:06:01 - 00:25:21:13 Intervenant 2 Comment est-ce qu'on peut inviter ces jeunes générations à co-construire l'avenir de l'endroit où ils passent le plus de temps qu'est l'Ecole ou l'endroit où l'on apprend à différents âges ? Je pense que c'est absolument clé. 00:25:21:15 - 00:25:36:20 Intervenant 1 Avant d'engager des transformations, est-ce qu'il y a, d'après vous, des espaces prioritaires privilégiés de l'exploration de ces nouvelles voies, de ces voies de changement ? 00:25:36:22 - 00:26:10:05 Intervenant 2 Par exemple, l'année prochaine, en 2024, c'est le centenaire non seulement des jeux olympiques, mais c'est le centenaire des droits de l'enfant. Donc on peut donner un nouveau droit aux enfants qui est le droit de demander de nouveaux droits. C'est une manière d'ouvrir le débat sur le sujet que je viens d'évoquer. Mais plus généralement, on peut faire le pari des imaginaires pour essayer d'inventer autre chose et donc inviter non seulement les adultes, mais aussi les plus jeunes à répondre à la question "Et si nous...", par exemple. Ça a été fait dans un certain nombre d'établissements 00:26:10:11 - 00:26:34:09 Intervenant 2 et honnêtement, ça donne des choses qui sont très intéressantes à différents âges. Le témoignage le plus "chou", vous allez comprendre pourquoi, c'étaient des enfants de trois ans qui ont répondu à la question "Et si nous..." en répondant : "Et si nous faisions des câlins". Ils ont créé avec la maîtresse un lieu où, quand les parents les laissent le matin, ils se font un câlin. 00:26:34:09 - 00:26:56:05 Intervenant 2 C'est un grand cœur qu'ils ont dessiné à l'entrée de la classe. Les parents viennent les chercher le soir, ils font la même chose. Pendant la journée, s'ils ont envie d'un câlin, il faut qu'ils apprennent le consentement, qu'ils aillent dans le cœur et qu'ils invitent quelqu'un à les rejoindre. Ce genre de choses, on voit que ce côté "Et si nous...", je pourrais revenir sur ce pourquoi j'ai donné ce titre à ce bouquin, je ne sais pas très bien 00:26:56:07 - 00:27:13:22 Intervenant 2 mais j'ai quelques intuitions... Un jour, je me suis réveillé avec le besoin d'écrire ce livre et je pense que c'est un besoin collectif d'inventer l'avenir et la meilleure manière de prédire l'avenir, c'est encore de le construire. 00:27:13:24 - 00:27:25:20 Intervenant 1 Justement, l'outil des Ikigai, des "wikigai" comme vous l'écrivez peut être un bon outil pour, en commun, dessiner ces espaces désirables? 00:27:25:22 - 00:27:53:01 Intervenant 2 Alors oui, je donne un peu de contexte pour ceux qui ne le connaîtraient pas. Donc l'Ikigai, il y a n variantes sur le web, c'est un concept japonais au départ, qui aide à trouver du sens dans ce qu'on fait, sa vie, ses activités. C'est une démarche qui est assez intéressante, qui invite à répondre à quatre types de questions qui sont, pour deux d'entre elles, liées à l'individu et pour deux d'entre elles, liées à son environnement. 00:27:53:03 - 00:28:10:08 Intervenant 2 Quelque part, ça peut se retranscrire en termes de besoins et de ressources de l'individu et de besoins et de ressources de l'environnement. Quels sont vos besoins et qu'est-ce que vous aimez faire ? Quelles sont vos ressources ? Qu'est-ce que vous savez faire ? Quels sont les besoins de la planète ou vos besoins, les besoins de vos communautés locales ? 00:28:10:13 - 00:28:31:09 Intervenant 2 Mais quelles sont aussi les ressources que vous pouvez mobiliser dans votre environnement, que ce soient des ressources financières ou des ressources intellectuelles ou des ressources physiques ou naturelles ? En quoi est-ce qu'on peut trouver une intersection idéalement non nulle, entre ces quatre types de questions ? Et est-ce qu'on peut mutualiser les ressources qu'on a localement pour s'entraider ? 00:28:31:10 - 00:28:51:10 Intervenant 2 Est-ce qu'on peut le faire à de nouvelles échelles grâce au numérique, parce que, typiquement les ressources, les biens communs digitaux dont je parlais tout à l'heure peuvent passer à l'échelle. Est-ce qu'on peut partager nos connaissances ? Peut-être que, si on a tous besoin de faire en sorte que la planète soit soutenable pour les générations futures, 00:28:51:12 - 00:29:15:23 Intervenant 2 est-ce qu'on peut combiner les ressources intellectuelles et humaines et matérielles dont on bénéficie les uns et les autres pour essayer de co-construire un chemin vers ce futur souhaitable ? Et est ce qu'on peut transformer des besoins en ressources ? Par exemple, si vous avez besoin d'une solution, peut-être que si la ressource n'existe pas, si la solution n'existe pas, vous êtes peut-être capable de l'inventer ou de créer un collectif qui va contribuer à l'inventer. 00:29:16:00 - 00:29:38:11 Intervenant 2 A ce moment-là, vous aurez créé une nouvelle ressource qui est cette solution, qui pourra être mise à disposition d'autres. Si chaque communauté cherche à résoudre ses défis et à répondre à ses besoins en créant des ressources adaptées, on peut à nouveau les mutualiser et faire en sorte que les solutions des uns inspirent les autres et puissent éventuellement être recombinées pour donner naissance à de nouvelles choses. 00:29:38:13 - 00:29:57:24 Intervenant 2 C'est comme ça que la science progresse. C'est comme ça que la technologie progresse. C'est en partageant et en mutualisant les résultats. Ce qu'on sait depuis le Moyen Âge, c'est qu'une université, c'est un lieu où, pour voir loin, on gravit les épaules de géants. L'ikigai des individus peut se combiner avec l'ikigai d'autres individus vers un wikigai 00:29:57:24 - 00:30:26:15 Intervenant 2 qui est donc "We are the kigai", nous sommes les personnes-clés pour relever nos défis et on peut même espérer aller vers un "ikigaya" au sens de l'ensemble des ressources que l'humanité peut mobiliser pour faire en sorte que la vie sur Terre soit aussi florissante que possible pour non seulement nos générations, mais celles à venir. 00:30:26:17 - 00:30:46:21 Intervenant 1 Pour un lien avec les questions qui sont en train d'arriver, vous, dans ce que vous écrivez, dans ce que vous dites, le soin et l'équité sont au cœur de vos préoccupations. En quoi ces deux notions sont indispensables pour penser des transformations aujourd'hui ? 00:30:46:23 - 00:31:13:02 Intervenant 2 D'abord, le soin et l'équité, c'est deux des valeurs cardinales dans toutes les civilisations, d'après Jonathan Haidt qui a beaucoup étudié ce genre de choses avec la liberté, la famille, la communauté, l'autorité et le sacré. Mais ce qui est intéressant dans équité et soin, c'est que je pense que c'est fondamental, y compris chez les mammifères par exemple. 00:31:13:04 - 00:31:41:10 Intervenant 2 Les mammifères prennent soin de leurs petits parce qu'autrement ils ne survivraient pas à la naissance. Donc ça c'est la première chose. Le soin, c'est complètement central chez des êtres vivants comme nous le sommes. Et puis l'équité, c'est essentiel pour toute espèce sociale comme la nôtre. Les primates par exemple, 00:31:41:10 - 00:31:59:00 Intervenant 2 il y a de très belles manips qui montrent à quel point ils sont sensibles à l'absence d'équité. Et donc ça, c'est très profondément ancré. La question c'est : qui on inclut dans le groupe vis à vis duquel on a un comportement équitable et de qui on prend soin? Est-ce qu'on prend soin seulement de ses petits ou est-ce qu'on prend soin de ceux d'à côté ? 00:31:59:00 - 00:32:28:23 Intervenant 2 Est-ce qu'on prend soin de ceux de notre tribu, de notre communauté, de notre ville, de notre pays, de notre continent ou notre planète, de notre espèce ou d'autres? Donc là, il y a énormément de variations au cours du temps et dans l'espace. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'on va historiquement plutôt vers un élargissement des cercles dans lesquels on pratique le soin et l'équité et qu'il y a quelque chose d'assez formidable chez l'être humain... 00:32:28:24 - 00:32:50:23 Intervenant 2 Moi, je reviens de New York où j'étais le 11 septembre 2001. J'ai eu un traumatisme que je vous laisse imaginer. Mais j'y suis retourné en septembre dernier et je suis retourné à Ground Zero, qui est le lieu où les tours jumelles.. Il y a le mémorial qui leur est consacré. Et j'ai relu les 3500 noms des gens qui ne sont plus là aujourd'hui. 00:32:50:23 - 00:33:17:01 Intervenant 2 Et il y en a dix qui sont associés à : "Et son enfant à naître". Donc, il y a dix femmes qui étaient enceintes dans ces tours. J'ai essayé de retrouver l'histoire de chacune et l'une d'entre elles a appris ce matin-là qu'elle était enceinte et elle était en train de l'annoncer au père au téléphone, au moment où l'avion a percuté les tours. 00:33:17:03 - 00:33:38:08 Intervenant 2 Donc je ne sais pas vous, mais moi, ça m'émeut énormément. En fait, une des spécificités des êtres humains, c'est ce que j'ai relu pendant que j'étais à New York pour essayer de sublimer un peu ce sentiment de deuil qui m'assaillait, c'est qu'une des spécificités des êtres humains, c'est d'être capable de porter le deuil de personnes que vous n'aurez jamais rencontrées. 00:33:38:10 - 00:34:01:06 Intervenant 2 Et ça, je trouve que c'est assez unique. Effectivement, si on est capable de jouer sur cette sensibilité, si on est capable de porter le deuil d'autres espèces ou d'une partie de l'environnement qui disparaît ou d'une partie des choses auxquelles on tenait mais qui sont en train de disparaître, et pourquoi est-ce que, finalement, 00:34:01:08 - 00:34:19:14 Intervenant 2 les émotions négatives ont été sélectionnées, c'est pour nous éviter de les revivre. Si on est capable de faire preuve d'empathie vis à vis des générations à venir, peut-être qu'on peut s'investir pour éventuellement faire un minimum de sacrifices. C'est ça le sacré. C'est ce pour quoi vous êtes prêts à faire des sacrifices. Qu'est-ce qui est vraiment sacré pour chacun d'entre vous ? 00:34:19:18 - 00:34:43:06 Intervenant 2 Il n'y a que vous qui puissiez y répondre. Pour moi, par exemple, il y a mes enfants. Mais il y a aussi l'ensemble des enfants qui sont déjà nés ou qui sont à naître. Et donc qu'est-ce qu'on peut faire pour ces nouvelles générations? Qu'est-ce qu'on est prêt à sacrifier pour éviter qu'ils vivent des traumatismes comme ceux que nous sommes en train de vivre et qui sont en train de s'aggraver? 00:34:43:08 - 00:35:07:07 Intervenant 1 Merci pour cette première partie d'échanges. On a des questions qui sont arrivées et je vais essayer d'en regrouper quelques-unes. D'après vous, les ou la transformation(s) principale(s) qu'il faut engager aujourd'hui, ce serait quoi ? Merci pour la question, je sais, ce n'est pas moi qui la pose! 00:35:07:07 - 00:35:12:07 Intervenant 2 Ce n'est pas une question facile. 00:35:12:09 - 00:35:29:17 Intervenant 2 Gandhi disait :"Be the change you want to see in the world", "Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde". C'est quelque-part un changement intérieur. C'est celui sur lequel on a le plus de capacité à agir. Si on n'est pas capable de se transformer soi, est-ce qu'on a une chance de transformer le reste ? 00:35:29:19 - 00:35:39:06 Intervenant 2 S'il devait n'y en avoir qu'un, ce serait probablement celui-là parce qu'il est probablement nécessaire pour tous les autres. 00:35:39:08 - 00:35:48:17 Intervenant 1 Il y a plein d'initiatives qui peuvent aller dans ce sens des transformations. Comment les mutualiser ? Comment mieux les partager, les faire connaître ? 00:35:48:19 - 00:36:21:01 Intervenant 2 Ça, c'est une excellente question. Je pense que le Web est un formidable outil de documentation et de partage. Si on crée des bases de données, de solutions, d'initiatives, d'engagements, de projets individuels et collectifs et si on sait les mutualiser, créer des plateformes inter-opérables, si on sait mettre de l'intelligence artificielle là-dessus pour lire ce qui se passe dans différents endroits, éventuellement dans différentes langues et être mis en relation avec des gens qui portent des projets proches et qui ont des solutions qui peuvent nous inspirer, 00:36:21:03 - 00:36:48:10 Intervenant 2 je pense que c'est extrêmement important. Nous, à titre d'organisation, le Learning Planet Institute, on a une plateforme qu'on appelle "projects" qui permet à chacun de documenter ses projets. On peut vous inviter à créer un portail dessus et puis on a une intelligence artificielle qu'on appelle "we learn" qui est nourrie par l'ensemble de ces projets, mais aussi par l'ensemble des publications scientifiques sur les sujets de durabilité et transmission et par, par exemple, tout Wikipedia et ce genre de bien commun scientifique et académique. 00:36:48:10 - 00:37:17:14 Intervenant 2 On essaye de faire en sorte que, quand on monte un projet, on puisse découvrir le plus rapidement possible les ressources les plus pertinentes qui peuvent être d'autres projets, qui peuvent être des speakers inspirants, qui peuvent être des personnes qui ont fait un bout de chemin sur ce sujet ou qui ont publié des articles scientifiques sur ces thèmes de façon à accélérer ces transitions et à faire en sorte qu'on ne réinvente pas la roue, mais qu'on puisse s'appuyer sur un état de l'art aussi avancé que possible sujet par sujet, 00:37:17:16 - 00:37:40:11 Intervenant 2 tout en essayant de mutualiser des ressources qui peuvent être de différents niveaux, il peut y avoir des ressources pour un élève, des ressources pour un enseignant ou des ressources pour un chercheur ou un entrepreneur social. Mais en fait, on a besoin de l'ensemble de ces acteurs et donc c'est bien qu'il y ait des lieux qui mutualisent ça, alors qu'aujourd'hui on a des portails plutôt scientifiques ou des portails plutôt pédagogiques ou des portails plutôt pour les jeunes. 00:37:40:11 - 00:37:57:04 Intervenant 2 Je pense qu'il faut arriver à trouver des manières de mutualiser plus largement. C'est là que l'IA est intéressante parce que pour un humain, lire toutes les publications scientifiques, c'est devenu impossible alors que ça l'était au XVIIIᵉ siècle. Comme il y en a 100 fois plus tous les 100 ans, ça fait 1 million de fois plus en 300 ans. 00:37:57:06 - 00:38:20:22 Intervenant 2 Donc ce n'est clairement plus possible pour un être humain. Ce que pouvaient faire Diderot et d'Alembert, c'était de lire toute l'Encyclopédie. Aujourd'hui, si vous voulez lire tout Wikipedia, levez-vous de bonne heure et préparez-vous à y passer beaucoup de temps et à vivre longtemps! On a besoin de nouveaux outils pour apprendre au moment où on en a besoin, ce dont on a besoin, et de lieux, de documentation et de partage. 00:38:20:24 - 00:38:30:15 Intervenant 1 Justement, sur l'IA, il y a quelques questions qui tournent autour de cela. Est-ce que l'IA, c'est pas le creusement de la tombe de l'humain ? 00:38:30:17 - 00:38:58:12 Intervenant 2 Je ne sais pas si vous avez lu "Pourquoi j'ai mangé mon père", c'est un très bon bouquin, c'est presque de la science-fiction du passé. Sur le feu, est-ce que c'est une bonne chose ou est-ce que ça va détruire la nature et l'humanité ? En fait, ces questions se posent depuis au moins cette première technologie qui était le feu et elles se sont posées n fois dans l'histoire, sur le nucléaire en particulier. 00:38:58:14 - 00:39:21:16 Intervenant 2 Je ne dis pas qu'il ne faut pas prendre cette question au sérieux parce que l'IA a tout un tas de propriétés qui font qu'elles peuvent amener à des scénarios cauchemardesques de science-fiction. Mais je pense que le plus important, de mon point de vue, c'est de faire de la recherche sur l'éthique de l'IA. Mais faire la recherche sur l'éthique de l'IA, c'est faire de la recherche sur l'éthique humaine. 00:39:21:18 - 00:39:45:23 Intervenant 2 Parce que, comment mettre de l'éthique dans une machine si nous-mêmes, nous ne sommes pas éthiques? Et qu'est-ce que ça veut dire que l'éthique ? Il y a au moins trois manières de mettre de l'éthique dans une machine qui sont: lui donner des règles, comme les lois d'Asimov pour ceux qui connaissent, donc des règles fixes, ou lui demander d'optimiser une fonction, par exemple le bien-être de tous ou l'absence de souffrance. 00:39:45:23 - 00:40:06:00 Intervenant 2 Mais si on prenait l'absence de souffrance, elle pourrait nous mettre tous sous opioïdes et ça ne nous amènerait pas forcément au meilleur. Et la troisième, c'est de lui permettre d'imiter les gens qui ont les comportements les plus éthiques. Mais comment est-ce qu'on identifie ces comportements ? Est-ce que nous-mêmes, on sait quand c'est qu'on a le comportement le plus éthique ? 00:40:06:00 - 00:40:21:16 Intervenant 2 Est-ce qu'on est capable de réfléchir là-dessus ? Est-ce qu'on est capable de progresser là-dessus ? Et si on est capable de progresser là-dessus, de le documenter, de le partager, d'abord, on peut apprendre les uns des autres et puis une machine peut commencer à apprendre de comment est-ce que des humains voient les sujets éthiques. 00:40:21:18 - 00:40:49:00 Intervenant 2 Et moi, j'ai posé des questions assez éthiques à la machine du genre : comment est-ce qu'une intelligence supérieure doit se comporter avec une intelligence qu'elle considère comme inférieure ? C'est intéressant. Je ne sais pas si vous avez fait l'exercice, mais vous pouvez le faire facilement. Et si vous voyiez la manière dont les humains ont traité les formes d'intelligence qu'ils ont considérées comme inférieures, qui appartiennent à d'autres espèces ou même à la nôtre, on n'a pas toujours été super éthiques. 00:40:49:02 - 00:41:08:22 Intervenant 2 De manière intéressante, la machine m'a donné une réponse plutôt plus éthique que ce que l'histoire humaine a montré. Donc ça ne veut pas dire que c'est parfait, mais ça veut dire qu'il y a peut- être des choses qu'on peut apprendre entre humains, qu'on peut enseigner à la machine et apprendre de la machine sur ce genre de sujet. 00:41:08:24 - 00:41:26:11 Intervenant 1 Dans les questions, il y a plusieurs blocages aux transitions, aux transformations qui sont évoquées : la sectorisation, le primat de l'économie et j'en passe. Comment inverser les choses ? 00:41:26:13 - 00:41:47:06 Intervenant 2 Déjà, il faut essayer d'imaginer des alternatives. Et puis ensuite, il faut essayer de les prototyper, puis ensuite il faut essayer de les faire passer à l'échelle. C'est clairement pas gagné. C'est d'ailleurs pour ça que le problème est si difficile et qu'il n'est toujours pas résolu pour de vrai. Mais je ne vois pas beaucoup d'autres solutions. 00:41:47:08 - 00:42:12:14 Intervenant 2 Je crois que c'est Margaret Mead qui disait : Si vous pensez qu'une poignée d'êtres humains motivés peut avoir un impact sur la marche du monde, sachez que c'est la seule chose qui n'ait jamais changé". C'est une condition nécessaire. Elle n'est clairement pas suffisante. Mais je pense qu'on se doit d'essayer de faire des choses, chacun à son échelle et de se mettre en réseau pour justement contribuer à changer d'échelle. 00:42:12:16 - 00:42:31:11 Intervenant 1 J'ai une dernière question qui vient d'arriver là, mais il y en a d'autres derrière, c'est : gérer la complexité ne passe-t-il pas en premier par l'éthique et donc les valeurs, donc ce qui fait sens? Est-ce que vous partagez cette idée-là et comment mettre ça en musique? 00:42:31:12 - 00:42:50:10 Intervenant 2 Le sens, j'en ai un peu parlé tout à l'heure sur l'"ikigai" et autres. Je pense qu'effectivement chercher à identifier ses valeurs, ça me semble indispensable. Nous, on a commencé, on a aidé des centaines d'étudiants, des milliers d'étudiants dans le monde physique à chercher et à trouver leur "ikigai". 00:42:50:12 - 00:43:17:19 Intervenant 2 On est en train de le développer en digital. Si ça vous intéresse, on pourrait en reparler comme des différentes plateformes digitales ou d'intelligence artificielle dont j'ai parlé. On essaye d'outiller par le digital et l'intelligence artificielle des étudiants pour les aider à trouver leur "ikigai" et à réfléchir sur ces questions de sens, de valeurs, d'impact et d'éthique. 00:43:17:19 - 00:43:44:22 Intervenant 2 C'est extrêmement intéressant. On peut voir quelles sont les valeurs qui viennent en premier aux jeunes et puis éventuellement en second, au sens de : s'ils les creusent et s'ils discutent non seulement des valeurs qui leur viennent spontanément, mais des valeurs que d'autres portent, est-ce qu'il y a des valeurs un peu plus élevées qui finalement sont communes dans la diversité des valeurs qu'ils peuvent exprimer initialement ? 00:43:45:02 - 00:44:20:15 Intervenant 2 Cette capacité à vivre en paix, par exemple, c'est une valeur qui est recherchée par tout le monde, mais qui ne vient pas forcément dans les premières réponses qui sont données. Et cette capacité à s'épanouir dans un environnement paisible et soutenable, ce n'est pas les premières réponses, mais ça vient si on les aide à creuser ces réflexions. Si on arrive à se rendre compte qu'on a un certain nombre de valeurs communes, et bien on peut peut-être se mettre d'accord sur le fait que ces valeurs ont plus de valeur que les valeurs financières et économiques. 00:44:20:17 - 00:44:40:03 Intervenant 2 A ce moment-là, on peut se demander qu'est-ce qu'il faut faire pour redistribuer si on pense que l'équité est une valeur cardinale ou investir dans les métiers du soin pour reprendre ce que je disais tout à l'heure, qui sont à la fois les métiers de la santé, mais aussi les métiers de l'éducation, les métiers de l'environnement. 00:44:40:05 - 00:45:08:16 Intervenant 2 Je pense qu'il y a toute une réflexion à avoir sur ce qu'on a en commun, plutôt que de savoir ce qui nous oppose. Une bonne partie des réseaux sociaux qui sont nourris d'intelligence artificielle ont été optimisés pour maximiser le temps qu'on y passe et donc les revenus publicitaires. Et quelque part, une des manières de faire ça, c'est d'attiser ce qui nous sépare et nos émotions les plus négatives. 00:45:08:18 - 00:45:32:23 Intervenant 2 On voit que, par exemple, il faut réguler ce genre d'outils, il faut créer d'autres formes d'IA ou d'autres formes d'outils numériques et d'autres formes de vivre ensemble, d'autres lieux. Les Grecs auraient parlé d'Agora. Au XVIIIᵉ siècle, on parlait de salon. Mais clairement, les réseaux sociaux d'aujourd'hui ne sont pas ces lieux d'apaisement et de co-construction de valeurs et de réflexions éthiques souhaitables. 00:45:33:00 - 00:45:41:23 Intervenant 2 Donc, il y a besoin d'inventer autre chose. Je pense que c'est non seulement possible, mais en plus souhaitable. 00:45:42:00 - 00:45:52:16 Intervenant 1 Est-ce que dans le scope des solutions ou dans les éléments qui y participent, la notion de démocratie participative a quelque chose à voir pour vous là-dedans ? 00:45:52:18 - 00:46:20:23 Intervenant 2 Oui, je pense qu'en fait, les valeurs des Lumières, c'est la science, l'éducation, la démocratie, la citoyenneté, la philosophie, les arts, etc. Je pense que l'ensemble de ces valeurs doivent être pensées pour être aussi inclusives que possible. Encore une fois, au XVIIIᵉ siècle et à Athènes, si vous étiez une femme esclave migrante, votre probabilité d'être entendue et de participer au débat dans la cité était nulle. 00:46:21:00 - 00:46:41:17 Intervenant 2 On a toujours besoin de participation. Mais on a besoin d'une participation qui inclut ceux qui jusque-là en étaient exclus. Repenser ces valeurs des Lumières à l'aune d'une participation plus grande qui inclut, y compris les plus jeunes, ça me semble absolument essentiel. 00:46:41:19 - 00:46:58:22 Intervenant 1 Pour revenir sur le métier de pédagogue, la plupart des gens qui sont ici sont des enseignants, comment voyez-vous l'évolution de leurs compétences justement pour faire face aux jeunes qu'ils rencontrent et puis aux enjeux sociétaux planétaires ? 00:46:58:24 - 00:47:16:11 Intervenant 2 Je pense qu'en fait, les enseignants ont toujours eu un rôle crucial et je pense qu'ils l'ont au moins autant aujourd'hui qu'hier parce qu'il y a toujours eu un rôle de transmission. Mais il se trouve qu'on ne peut plus se contenter uniquement d'un rôle de transmission, parce que, si on transmet uniquement ce qui nous amène dans le mur, ça ne va pas aider beaucoup les jeunes. 00:47:16:11 - 00:47:52:09 Intervenant 2 Donc typiquement, il faut non seulement transmettre les valeurs et un certain nombre de choses qu'on s'est déjà dites, mais aussi être capable d'inventer autre chose et de le co-construire avec ces jeunes. Donc, c'est un peu ce que disait Guterres que je citais tout à l'heure, il faut être dans cette logique de co-construction avec les jeunes, être dans une posture qui n'est pas forcément celle qui nous a aidés à grandir, ce qui suppose de remettre en cause éventuellement la manière dont nous-mêmes on a été éduqués et dont on éduque les nouvelles générations. Je pense qu'il faut le faire parce que la trajectoire globale n'est pas la bonne et 00:47:52:11 - 00:48:34:11 Intervenant 2 il faut le faire parce que le système éducatif est né du monde industriel et dans une logique où on apprenait aux enfants à se mettre en rang par deux, comme à l'armée. Et puis on leur apprenait à marcher au pas et à rentrer en classe et à se taire. Donc, comment est-ce qu'on passe d'une logique de compétition et d'exclusion que, malheureusement, le système éducatif représente trop souvent à une logique où on est encore plus inclusif qu'on ne l'est déjà et on invite les jeunes à coopérer entre eux sur les défis d'aujourd'hui plutôt que à leur imposer un programme qui ne correspond pas forcément à leurs besoins et à leurs centres d'intérêt 00:48:34:11 - 00:49:00:19 Intervenant 2 immédiats. Donc, comment est-ce qu'on en arrive à co-construire avec eux un nouveau chemin? Et comment est-ce qu'on développe ce mot qui n'existe pas en français, ce qui quand même est un problème, les Québécois parlent d'agentivité ou d'empuissancement, en anglais on dirait "agency" ou "empowerment", qui sont fondamentalement donner aux jeunes le pouvoir d'agir sur eux, sur leur collectif et sur leur avenir? 00:49:00:21 - 00:49:27:22 Intervenant 2 Est-ce qu'on peut faire ça? Mais pour le faire en tant qu'adulte et en tant qu'enseignant, en tant qu'éducateur, on a besoin de travailler sur notre propre agentivité parce qu'on a un système très vertical qui nous infantilise, même nous, adultes, et donc a fortiori les enfants. Comment est-ce qu'on va vers un idéal émancipateur qui est celui à nouveau des Lumières de Condorcet et de plein d'éducateurs à travers les âges, depuis Socrate au moins? 00:49:27:24 - 00:49:55:14 Intervenant 2 Mais on a besoin de s'interroger. Et on sait que Socrate a mal fini, Maria Montessori a eu des difficultés avec Mussolini. Ce n'est pas facile d'être un éducateur dans un monde qui n'est pas forcément prêt à cette émancipation des jeunes générations. Mais c'est, je pense, notre rôle. Et notre rôle, il est d'abord et avant tout vis à vis de ces jeunes, au moins autant que vis à vis d'une institution qui a besoin, elle, d'évoluer. 00:49:55:16 - 00:50:10:14 Intervenant 1 Les collègues parlent et vous parlez vous-même de pluridisciplinarité. les collègues parlent d'inter, de transdisciplinarité. Quelles différences vous faites entre tout ça ? Et est-ce que ce ne serait pas une essence pour bâtir le futur ? 00:50:10:16 - 00:50:38:12 Intervenant 2 Le Learning Planet Institute s'est pendant longtemps appelé le Centre de Recherches Interdisciplinaires, donc je suis persuadé de la richesse d'un regard multiple sur la complexité du monde que chaque discipline peut apporter. Je pense que chaque discipline a un regard aiguisé sur une problématique. Mais si on veut comprendre la complexité, il faut mutualiser ces regards, d'où l'intérêt de ce genre d'approche, quel que soit le nom qu'on leur donne, qui soient 00:50:38:12 - 00:51:00:03 Intervenant 2 des approches qui nous invitent à dépasser les logiques dominantes jusqu'à maintenant. Ce n'est pas simple encore une fois. Mais si on part dans des pédagogies de projets et des pédagogies de défis, pour résoudre un vrai défi, vous allez avoir besoin de toutes les sciences, y compris des sciences humaines, en particulier dans les défis des transitions. 00:51:00:05 - 00:51:23:11 Intervenant 2 Pour vous donner des exemples, la fondation Lego cherche des environnements pédagogiques inspirants qui préparent le mieux au XXIᵉ siècle. Et elle en a trouvés dans les environnements assez improbables. Un de mes préférés, c'est une école en Haïti qui est en pédagogie de projet de 6 à 18 ans. Donc, si on est capable de le faire en Haïti, on voit que ce n'est pas juste une question de ressources. 00:51:23:11 - 00:51:48:19 Intervenant 2 C'est plus une question de démarche pédagogique et d'accompagnement des jeunes où les savoirs disciplinaires et interdisciplinaires sont au service de ce pouvoir d'agir dont je parlais tout à l'heure, de cette agency, de cette capacité des jeunes à résoudre des problèmes à hauteur d'enfant. Dans cette école, pour donner des exemples très concrets, à six ans, ils apprennent à planter une graine parce qu'ils se sont rendus compte que le déboisement était un problème et que ça manquait de vert autour d'eux. 00:51:48:21 - 00:52:14:14 Intervenant 2 À douze ans, ils apprennent à coder un serveur de SMS parce qu'ils ont un téléphone portable et que les SMS leur coûtent trop cher, donc ils le créent eux mêmes. Et à 18 ans, après avoir vécu un tremblement de terre, ils ont créé le premier centre de détection en ondes sismiques de leur pays. Donc, c'est cette capacité des jeunes bien accompagnés par des enseignants bienveillants de différentes disciplines, qui peut les aider à grandir et en l'occurrence, à gagner des prix aux Olympiades internationales de sciences. 00:52:14:15 - 00:52:28:12 Intervenant 2 Ce n'est pas un but en soi, les Olympiades de sciences, mais c'est intéressant de voir que les jeunes peuvent arriver à ce niveau d'excellence dans un environnement très improbable comme Haïti encore aujourd'hui. 00:52:28:14 - 00:52:37:02 Intervenant 1 On a une question qui nous demande : penser transformations à 8 milliards et plus d'habitants, n'est-ce pas utopique? 00:52:37:04 - 00:53:06:04 Intervenant 2 Ne pas le penser, penser que l'on va s'en sortir, c'est ça qui me paraît vraiment utopique. Je ne dis pas que c'est facile, mais je ne vois pas comment on va s'en sortir autrement. Je pense qu'on n'a pas d'autres choix que d'être "meilleuriste". Ce n'est pas être optimiste ou pessimiste, c'est tout faire pour que les choses s'améliorent. 00:53:06:06 - 00:53:29:19 Intervenant 2 Je pense qu'on a besoin d'inventer des choses. Mais je dirais, chaque génération a inventé ses propres solutions. Après la Deuxième Guerre mondiale, il a fallu tout reconstruire. Après la Révolution française, il a fallu tout réinventer. À Athènes déjà, il a fallu inventer des concepts complètement nouveaux comme la science, la philosophie, la démocratie et les arts. 00:53:29:19 - 00:53:53:15 Intervenant 2 Voilà! Chaque génération sait relever ses défis. Peut-être que le rôle de notre génération, c'est de donner les clés aux générations à venir pour qu'elles inventent leurs propres solutions. Moi, je ne prétends pas avoir la solution, mais je pense que si on co-construit les solutions avec ces jeunes générations, on a une chance de les aider à sortir par le haut des crises multiples dont ils héritent 00:53:53:15 - 00:53:59:17 Intervenant 2 parce que nous n'avons pas su prendre les bons choix dans les années et les décennies précédentes. 00:53:59:19 - 00:54:29:18 Intervenant 1 On a une question qui fait référence à une phrase tirée du film "Le Guépard" et qui dit "Il faut que tout change pour que rien ne change". J'ai envie de la mettre en parallèle avec un extrait de votre dernier ouvrage, où vous citez Edgar Morin, qui dit "naviguer dans un océan d'incertitudes à travers des archipels de certitudes". Aujourd'hui, c'est quoi les certitudes sur lesquelles on peut s'appuyer pour naviguer dans l'océan des incertitudes? 00:54:29:18 - 00:54:59:15 Intervenant 2 Parmi les certitudes, moi, je conseille tout le travail qui a été fait sur les limites planétaires. Il y a des certitudes scientifiques sur l'épuisement des ressources, sur le changement climatique, sur l'érosion de la biodiversité. Ça, c'est des certitudes. Les incertitudes, c'est quoi les conséquences de ça ? Et qu'est-ce qu'on peut faire ? On sait que les conséquences ne sont pas forcément favorables 00:54:59:15 - 00:55:21:05 Intervenant 2 si on continue sur la trajectoire dans laquelle on est. Donc il va falloir inventer autre chose. Mais il va falloir inventer autre chose collectivement et donc il va falloir explorer de nouvelles manières d'apprendre, de mobiliser d'intelligence collective et d'agir collectivement sur ces grands défis. Donc, je reviens sur cette idée de planetizen. 00:55:21:05 - 00:55:41:20 Intervenant 2 Parmi mes paris en tout cas, il y a le fait que, en co-construisant avec la jeunesse comme Guterres le propose, on peut leur donner une chance de trouver leurs solutions. Cette idée de planetizen, on est en train d'essayer de la faire vivre aux jeunes en co-construisant avec eux, avec l'Unesco, avec l'Université des Nations Unies et tout un tas d'acteurs français et internationaux 00:55:41:22 - 00:56:01:21 Intervenant 2 une université des enjeux planétaires "plain design university" qui soit ouverte à tous, qui soit un nouveau bien commun, qui soit une université où on apprend à défendre les biens communs que je citais tout à l'heure et une université dans laquelle on apprend à mutualiser les solutions qui peuvent exister ici ou là. Et je pense qu'on a besoin de ce genre de choses. 00:56:01:23 - 00:56:29:07 Intervenant 2 Ce qui est vrai aussi, c'est que les universités sont historiquement des entités qui sont des lieux de connaissances qui généralement sont antérieures à la constitution des démocraties et de la plupart des autres institutions que l'on voit, parce que c'est des gens qui ont fréquenté ces universités, qui sont éventuellement par la suite capables de décliner ce genre de principes dans d'autres types d'institutions héritées des Lumières. 00:56:29:12 - 00:56:34:15 Intervenant 2 Mais les universités prédatent les Lumières de plusieurs siècles. 00:56:34:17 - 00:56:59:11 Intervenant 1 Une ou deux questions pour terminer cet échange. Au départ, on est parti sur deux affirmations : accélérer les transitions et ralentir pour soi même. J'ai une question qui dit : est-ce que vous avez une ou deux idées fortes des choses que vous voudriez nous partager sur ces deux orientations ? 00:56:59:13 - 00:57:28:00 Intervenant 2 Je pense que c'est assez personnel, mais je pense que chacun a en lui les capacités de se ressourcer et de se recentrer. Et heureusement, en France en tout cas, on a droit à des congés payés, par exemple. Les romains parlaient d'"otium" et les Grecs de "skholé" je crois, qui étaient les moments en dehors. L'otium, c'était l'opposé du négoce et des affaires courantes. 00:57:28:02 - 00:57:53:22 Intervenant 2 C'était ce temps de recul que l'on peut prendre pour se recentrer et se réinventer ou creuser de nouvelles dimensions. Je pense qu'on a besoin de ces temps individuels et collectifs pour retrouver du sens et savoir dans quelle direction aller, puisque quand on court trop vite dans la mauvaise direction, on se rend compte que ça ne va pas, ni pour soi ni pour les autres. 00:57:53:24 - 00:58:27:13 Intervenant 2 Et donc se recentrer pour réapprendre à prendre soin de soi, des autres et de la planète plutôt que de contribuer à se faire exploiter et exploiter les autres, à exploiter la planète. Je pense que c'est juste clé. Et moi, je n'ai pas de solution à imposer à qui que ce soit. Mais je pense que si on prend du temps pour ça, si à titre individuel, je pense qu'on en a tous les moyens, si à titre institutionnel, c'est un peu ce que vous faites aujourd'hui, être capables de prendre du temps pour réfléchir à des sujets qui vous concernent et qui vous semblent essentiels pour l'avenir, 00:58:27:15 - 00:58:47:11 Intervenant 2 je pense que ça peut être l'occasion de co-construire d'autres alternatives que le business, que ce qu'on a toujours fait, en le prolongeant. Cette capacité à se réinventer, c'est ça le bouquin. "Et si nous...", je me suis réveillé un matin à 2 h du matin, la veille, je ne pensais pas écrire un bouquin, encore moins qu'il aurait ce titre. 00:58:47:13 - 00:59:04:02 Intervenant 2 Ce jour-là, je me suis réveillé à 2 h et à 8 h, j'avais écrit ce bouquin qui s'appelait "Et si nous..." Je ne sais pas du tout d'où ça vient. Je ne peux pas vous expliquer d'où ça doit venir parce que je ne saurais pas dire d'où ça vient chez moi. Mais ça a été une évidence. Je me suis réveillé avec le fait qu'il fallait que je fasse ce livre et que je contribue à ce genre de conversation. 00:59:04:04 - 00:59:11:13 Intervenant 2 Voilà. Je ne peux pas vous donner la recette, mais je peux juste vous dire comment moi, je l'ai vécu. 00:59:11:15 - 00:59:35:23 Intervenant 1 Pour clore, vous avez face à vous des enseignants en grande partie, qui sont engagés dans le plan "Enseigner à Produire Autrement", enseigner autrement à produire autrement pour les transitions et l'agroécologie. Est-ce qu'il y a une chose que vous auriez envie de leur dire plus particulièrement avant qu'on vous libère? 00:59:36:00 - 00:59:57:18 Intervenant 2 D'être à l'écoute, à l'écoute de la nature que vous voyez autour de vous, à l'écoute de vous-même au plus profond et à l'écoute des jeunes que vous accompagnez et de vos collègues. Il y a un un prof du MIT qui a développé ce qu'il appelle la théorie U. Vous pourrez le retrouver sur le Web si ça vous intéresse. 00:59:57:20 - 01:00:26:00 Intervenant 2 Il apprend à laisser partir ce dont on n'a pas vraiment besoin et laisser émerger ce qui doit advenir pour demain. Cette capacité à être à l'écoute de ce qui doit advenir, je pense qu'on en est tous capables mais qu'on n'y a pas vraiment été formés. Et donc être à l'écoute de soi, des autres et de son environnement pour mieux prendre soin de soi, des autres et de la planète, 01:00:26:00 - 01:00:30:22 Intervenant 2 je pense que c'est plus nécessaire que jamais. 01:00:30:24 - 01:00:43:24 Intervenant 1 Merci d'avoir pris ce temps avec nous. On ne peut que conseiller vos deux derniers ouvrages que j'ai cités, puis d'aller voir sur Internet ce qui se passe du côté de Learning Planet Institute, par exemple. 01:00:44:01 - 01:00:50:22 Intervenant 2 Volontiers. Merci et au plaisir de prolonger ces échanges sous un format qui soit un autre. 01:00:50:24 - 01:00:57:20 Intervenant 1 Merci. 01:00:57:22 - 01:01:08:06 Intervenant 2 Merci, au revoir. 01:01:08:08 - 01:01:13:24 Intervenant 3 Je sais pas si vous avez entendu, mais il y a eu des applaudissements. Je vous le dis parce que je ne sais pas si vous avez entendu la salle. 01:01:14:01 - 01:01:16:05 Intervenant 2 01:01:16:07 - 01:01:19:03 Intervenant 3 01:01:19:05 - 01:01:19:14 Intervenant 2 Merci.